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N°1/2021
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Xavier Dayer

Xavier Dayer ist Komponist und leitet den Masterstudiengang Composition. Für seine eigene künstlerische Praxis ist er soeben vom Kanton Bern mit einem Musikpreis ausgezeichnet worden, ebenso wie Stefan Eicher und das Instrumentenbauerduo Schärer/Rohner. Wie positioniert sich Xavier Dayer heute im weiten Feld der Musikproduktion, wodurch lässt er sich leiten? 

Interview

Heute kann man fast nicht mehr sagen, was Komponist*innen tun. Sie organisieren zwar alle Zeit, Klänge und Raum, aber dann hören die Gemeinsamkeiten schon auf. Ist das nun toll, traurig, schade, eine Chance oder einfach nur anything goes? 
Je fais partie de ceux qui aiment les incertitudes, la situation que tu décris est donc pour moi féconde et naturelle. Je suis au contraire inquiet lorsque je ressens, en art, l’expression de certitudes. Celui qui saurait ce que veut dire « composer » m’inquiète plus que celui qui admet vivre dans cet espace indéfini et mouvant. En fait, ce qui me surprend le plus n’est pas tellement le fait que cette difficulté de définition existe aujourd’hui mais plutôt qu’on ait attendu si longtemps, dans le monde de la musique contemporaine, pour l’observer. Il me semble que dans les arts visuels, la danse et le théâtre c’est une réalité depuis longtemps. Lorsque je regarde l’histoire j’ai le sentiment que la période qui ressemble le plus à la nôtre, musicalement, serait la période prérévolutionnaire entre 1760 et 1780 ; si on observe les différences stylistiques entre les fils de Jean-Sébastien Bach, on retrouve cette absence de norme. Lorsque j’écoute les fugues de Wilhelm Friedemann Bach j’ai des frissons, il essaie désespérément de retrouver la force du monument paternel dans un monde qui a changé et cela est si mélancolique. Je ressens ce type d’émotion à l’écoute de beaucoup de musiques composées aujourd’hui, elles sont comme étouffées par l’immensité du passé et cela les rend étrangement touchantes. 

Schauen wir in die Gegenwart: In diesem «espace indéfini et mouvant», den du beschreibst, und der voller Ungewissheiten ist: In welche Richtung willst du dich bewegen, was möchtest du mit deiner Musik entdecken? Möchtest du auch Gewissheiten, also einige «certitudes» komponieren?
Dans ma pratique de compositeur je tente d’approfondir l’aventure des espaces sonores dont la première grande référence incontournable me semble être au XVIe siècle le Spem in alium de Thomas Tallis (pardon, tu m’as demandé d’évoquer le présent mais, comme tu vois, le passé m’habite !). J’appartiens à la guilde de ceux qui aiment concevoir le son comme une matière à sculpter. Dans cet esprit, la profession avec laquelle je me sens le plus proche est celle de l’architecte, je dessine des plans pour les interprètes qui, à leur tour, sculptent les sons dans la lumière. Mais contrairement à ceux des architectes mes édifices n’ont aucune fonction pratique … même si mon souhait le plus fort est que ces sculptures soient un jour habitables métaphoriquement par l’auditeur. Quant au lien entre mon travail et les certitudes, je dirais, qu’au fur à mesure des œuvres je ressens une évolution vers à la fois plus de sobriété et plus de clarté. Mais d’enlever le superflu est une école de vie … 

Du betrachtest dich als Bildhauer im Klang, konstruierst also Gebäude aus Tönen und Geräuschen und du hast historische Vorbilder. Ornamentales, so nehme ich an, magst du eher weniger … Vertraust du beim Konstruieren auch auf moderne, beispielsweise elektronische Werkzeuge?
L’ornementation peut être essentielle lorsqu’elle est au centre du propos (j’aime infiniment la peinture de Matisse !). Et aussi si une surcharge est le sujet de l’œuvre, cela peut être superbe. Je suis, par exemple, fasciné par la Symphonie no 4 de Charles Ives. Ce qui me pose un problème c’est lorsqu’on ne sait plus quel est le propos de l’œuvre car le compositeur veut tout à la fois et ne fait pas de vrai choix. Ce que j’entends par une quête de sobriété et clarté va dans le sens : « Je dois choisir » … Concernant l’électronique, je suis conscient d’avoir pour le moment fait le choix d’y renoncer. Mais il n’y a aucune raison dogmatique ou idéologique à cela. C’est lié au fait que les œuvres que je trouve les plus réussies dans ce genre sont celles de « composer-performers » qui, d’une certaine manière, jouent leur œuvre comme Froberger jouait les siennes au clavecin au XVII siècle (je pense par exemple au travail actuel d’Alexander Schubert que nous avons invité récemment). Ainsi si j’intègre demain l’électronique à mes œuvres, je pense que j’irai dans le sens d’avoir un interprète « co-compositeur » dans le projet. Je crois que je suis déjà trop vieux (et pas assez doué …) pour devenir aujourd’hui un interprète valable de l’électronique … 

Dein Verzicht auf elektronische Mittel ist also eine klare Entscheidung. Unsere Kompositionsstudierenden arbeiten heute dagegen stark damit, ebenso mit szenischen Elementen, dem Raum, dem bewegten Bild und vielen anderen Parametern – und oft sind sie ihre eigenen Performer*innen. Sehen wir also das Ende der klassischen Aufteilung zwischen Autor*in und Interpret*in? Und was würde das über die aktuelle Musik sagen?
Oui absolument ! Je pense que la séparation, que tu décris comme classique, entre auteur et interprète est entièrement à repenser aujourd’hui. Dans mon quotidien d’enseignant je le constate d’ailleurs sans cesse. Je trouve cela extrêmement positif et j’ai tendance à croire qu’avec le recul la séparation des rôles sera perçue comme une étrange spécificité d’un courant bref et minoritaire du XXe siècle. Helmut Lachenmann serait, par exemple, l’archétype du « pur » compositeur, et pourtant même lui est « performer » dans sa composition Zwei Gefühle ! Lorsqu’on regarde l’histoire de la musique il est évident que les auteurs étaient sur scène, jouaient tant leurs œuvres que celles des autres. Pour nos étudiants cela est redevenu très logique, et je le salue. L’électronique a joué un rôle libératoire dans ce processus car, contrairement aux instruments d’origine classique, sa pratique échappe à une notation et à un apprentissage normé. Mais il est également intéressant, dans ce contexte, d’observer combien nos étudiants manifestent une grande curiosité pour les métiers traditionnels attribués au compositeur spécialisé (orchestration, harmonie, contrepoint, etc.). Je perçois dans leurs questions et leurs souhaits une envie de savoir comment c’était de composer, jadis, dans un cadre strict, dans un contexte donné par l’extérieur et non librement choisi. J’attribue cet intérêt à la difficulté évidente de se former dans un monde devenu si fluide. Ce défi est fascinant, et nous sommes qu’au début d’énormes mutations.