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N°3/2022
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Éliane Radique

Le 14 juin dernier, Christian Kobi, la violoncelliste Deborah Walker et un groupe de cinq étudiant-e-s de la HKB ont rencontré Éliane Radigue dans son appartement parisien. Cette prise de contact annonce les prémices d’une création qui aura lieu le 3 novembre prochain à Berne, dans le cadre du festival »zoom-in«.

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Clarinettiste basée à Berne, étudiante en Master Performance à la HKB, membre du projet Occam Océan et présente lors de la rencontre avec la compositrice.

Il s’agit en fait d’une nouvelle pièce de la série Occam Océan pour grand ensemble. Rappelons encore que c’est Christian Kobi qui est à l’initiative de ce projet et qui organise le festival. Éliane Radigue a fêté ses 90 ans cette année. Celle que l’on nomme volontiers pionnière de la musique électronique, notamment grâce à son travail dans les années 1970 avec le synthétiseur analogique ARP 2500 et le magnétophone à bandes, se consacre désormais à la musique exclusivement acoustique. Elle collabore pour cela avec de nombreux-euses musicien-ne-s comme nous l’évoquerons plus tard. Après avoir vécu à Nice et brièvement aux États-Unis, elle revient à Paris, sa ville natale, et sera l’auteure de nombreuses pièces « plutôt peu orthodoxes » comme elle les nomme. On la connaît notamment pour ses pièces à feed-back, drones et variations infimes et lentes.

Ses partitions, sa musique ? Des images, la recherche d’un univers sonore, et son oreille attentive. Mais jamais de partitions … Mme Radigue déborde d’énergie et partage généreusement, avec passion et précision, ses idées et sa manière de travailler. Elle invite le groupe chanceux et émerveillé, à peine arrivé de Berne, dans son salon mais aussi dans son univers artistique. Elle entre très vite dans le vif du sujet de la visite et évoque, sans jamais perdre ni son souffle ni son sourire, ses recherches sur le son, avec et sans électronique, ainsi que sa passion pour l’éphémère et le silence.

Malgré sa découverte du bouddhisme dans les années 1980, Éliane n’entendra jamais donner un sens religieux à sa musique, et si l’on y trouve une spiritualité, c’est « celle qui se lie à notre engagement avec la musique ». Son entrée dans ce monde religieux date d’ailleurs d’après l’élaboration de son univers musical et non avant, comme on pourrait le penser.

Mais c’est quoi un Occam ? Pourquoi Occam Océan ?
La série Occam Océan a débuté en 2011 et comprend désormais une cinquantaine de pièces pour formations diverses, du solo au grand ensemble. L’idée naît d’une grande peinture murale qu’Éliane Radigue voit par hasard en 1973, au Musée d’histoire naturelle de Los Angeles. Cette peinture, montrant le spectre des ondes électromagnétiques, allant de la plus grande à la plus petite longueur d’onde mesurable connue, lui évoque l’image d’un ocean : Il semble en effet que l’océan avec ses multiples vagues nous permet d’être symboliquement en contact avec un spectre assez large d’ondulations vibratoires, allant des grandes houles de haute mer aux vaguelettes scintillant par une belle journée d’été. (Éliane Radigue)

En outre, Occam fait référence au principe de raisonnement philosophique du rasoir d’Occam (ou Ockham) du philosophe du XIVe siècle Guillaume d’Ockham. Il en va de systématiquement choisir la simplicité, l’économie, la parcimonie, et les interprètes des multiples Occam Océan reçoivent la même consigne. Les pièces de la compositrice sont d’ailleurs souvent extrêmement douces, à la rencontre du silence et du quasi-inaudible.

Un autre aspect absolument primordial du travail consiste à concentrer son attention sur l’émergence des partielles du son, quitte même, caricaturalement, à en oublier la fondamentale. C’est donc pour faciliter cette recherche que l’on préfère souvent des notes tenues et que l’on recherche un univers quasi irréel que demandent les pièces.

Comment on procède sans partitions écrites ? Quelle forme de travail ?
La première étape a donc déjà été exécutée à Paris. Éliane Radigue a écouté chaque musicien-ne, individuellement, et commenté, conseillé, recherché les partielles dans les sons proposés. Son oreille est précise, elle relève les subtilités ainsi que les attributs propres à chaque instrument. Sans toujours savoir les implications techniques que cela demande, elle peut néanmoins exiger avec précision la couleur souhaitée et la simplicité et parcimonie qu’elle veut entendre. Sa demande est bien simple : Faites-moi des vagues !

L’une d’elles s’appelle Deborah Walker, elle est violoncelliste, et c’est elle qui guidera en tant que cocompositrice, la création de Occam Océan à Berne avec l’Ensemble Vertigo dans la mesure où Éliane Radigue ne peut malheureusement pas se déplacer. Mais celle-ci exprime à plusieurs reprises, lors de notre visite, sa confiance absolue en Deborah, qui travaillera donc sur les bases de son expérience avec les précédents Occam, assisté aux retours donnés par Radigue à travers le partage des enregistrements des répétitions. Elle a déjà créé le solo de violoncelle Occam Océan VIII (2013), ainsi que plusieurs autres pièces de la série en compagnie d’autres chevaliers.

Ce travail m’a plongé au cœur d’une recherche sonore et musicale très particulière, à la fois dans la manière de produire des sons, mais aussi de les écouter. L’évolution de ces pièces pourrait ressembler à celle d’un ciel avec des nuages, qui à une première vue semblent immobiles, mais qui en vérité n’arrêtent jamais de modifier leur forme. C’est une musique qui conduit l’écoute vers des détails sonores subtils, infimes, qui rélèvent d’une grande délicatesse. Éliane s’intéresse tout particulièrement à la vie des sons, à leur qualité spectrale, à l’apparition et au mouvement des harmoniques. Ces éléments, déjà caractéristiques de ses œuvres électroniques, se retrouvent également dans les pièces instrumentales, dont le processus de création s’enrichit d’une nouvelle dimension à laquelle elle donne beaucoup d’importance : la rencontre, humaine et artistique, avec chaque musicien-ne.
Deborah Walker