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N°2/2024
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Ed Wiege

Diplômée de l’Institut littéraire suisse, Ed Wige a reçu un Prix suisse de littérature 2024 pour Milch Lait Latte Mleko.

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est responsable de la rubrique littéraire du Courrier, quotidien indépendant basé à Genève.

Il est question de langues et d’exil, de violence et d’enfance, dans Milch Lait Latte Mleko. Premier livre publié d’Ed Wige, cette novella raconte l’arrivée en Suisse d’une petite fille et de sa mère qui ont fui l’ex-Yougoslavie. Le point de vue est celui de l’enfant, et cette voix singulière lui a valu un Prix suisse de littérature 2024. « Les formes courtes ont été reconnues par le jury fédéral », se réjouit Ed Wige – l’un des autres livres primés est le recueil de nouvelles de Jérémie Gindre, Tombola.

Milch Lait Latte Mleko, commencé lors de sa deuxième année à l’Institut littéraire suisse de Bienne, s’inspire de son expérience de la migration tout en faisant appel à la fiction pour davantage de liberté. « J’ai besoin de la fiction pour écrire », souligne Ed Wige. Elle imagine ainsi que le père de la narratrice est un criminel de guerre tandis qu’un fait divers – une fillette qui a fugué et a réussi à s’introduire dans un avion avant d’être retrouvée – lui donne le point de départ et la chute du récit. Entre les deux se déroule une année de la vie de cette petite qui tente de comprendre son nouveau pays, veut revoir son père et peine à comprendre sa mère qui se bat pour rester.Ce récit à hauteur d’enfant est truffé de silences – car comment exprimer la violence, le malaise, tout ce qu’elle ressent sans pouvoir le dire ? Ce sera par une langue au scalpel et par ce qu’exprime le corps. « Noëlle Revaz a été une menta parfaite pour ce travail sur le fond et la forme, elle qui y est attentive dans chacun de ses livres, raconte Ed Wige. Elle m’a poussée à tester, à explorer. » Elle hésite à développer sa novella en roman, mais cela impliquerait de changer de registre de langue. Et trouve finalement en Paulette Éditrice le partenaire idéal, avec sa collection Pives dédiée aux formes brèves et une éditrice et un éditeur effectuant un travail précis sur les textes. « Quand Noémi Schaub et Guy Chevalley sont entrés dans cette histoire, il y a eu un grand travail à trois pour ajuster le curseur de la langue », salue Ed Wige.Elle qui a aujourd’hui posé ses valises à Renens a d’abord étudié les relations internatio-nales et travaillé dans différentes agences internationales à l’étranger. Après avoir com-mencé l’Institut, elle part près de trois ans à Shanghai, où elle œuvre dans le domaine de la médiation culturelle. De retour en 2022, elle achève son Bachelor et enchaîne sur le Master en écriture littéraire à la Haute école des arts de Berne.Sur son site, elle se définit comme « explor-autrice ». « J’aime explorer des formes, explique-t-elle. Je me suis frottée à la science-fiction pour un concours de nouvelles, je crée des vidéo-poèmes, j’expérimente aussi les liens aux autres arts. J’ai travaillé avec deux amies danseuses à impulser du mouvement à Milch Lait Latte Mleko, à chercher le texte via le corps. » Son cursus à la HKB offre un cadre idéal à ce dialogue avec d’autres pratiques. Les étu-diant·es y confrontent leurs projets personnels à des regards extérieurs – ceux de leurs pairs et ceux des mentors. Ed Wige y développe divers textes et a travaillé avec l’auteur et éditeur français Clément Ribes ou le metteur en scène et comédien romand Guillaume Béguin. « De plus, on peut puiser ce dont on a besoin dans les sections Fine arts, Sound Arts ou Performance – ces deux derniers surtout m’intéressent. » Elle collabore aussi avec le trio de RGB project et une costumière, une scénographe, des auteur·trice·s sur la pièce Les Enfants du Rhône. « On crée ensemble l’univers de la pièce, c’est une expérience incroyable. »Ouverts aux apports extérieurs, les textes se développent ainsi dans un élan collectif. Une dimension qui lui est familière : à l’Institut, l’écriture se conçoit en dialogue, « que cela soit à l’origine ou à la fin du texte, relève Ed Wige. Beaucoup d’entre nous continuent ensuite ces collaborations. » Avec quatre autres diplômé·es (Victor Comte, Sarah Marie, Lisiane Rapin et Marilou Rytz), elle a fondé en 2018 le collectif Particules afin de poursuivre cette pratique de l’écriture stimulée par la lecture des projets de chacun·e et les retours mutuels. Ed Wige fait aussi partie de l’AJAR, structure plus grande et ouverte, et travaille en anglais, avec d’autres membres et un quatuor d’écrivains de Hong Kong, à un projet en chinois et en français …Enfin, c’est avec un ancien camarade germanophone de l’Institut littéraire suisse, Benjamin Kevera, qu’elle a lancé minikri, micro maison d’édition qui promeut de jeunes plumes suisses dans un format inédit, en dehors des espaces de distribution classiques. Les textes sont publiés en version bilingue – traduits par le duo – afin de les faire connaître de part et d’autre de la Sarine. « En nous donnant accès au monde germanophone, la HKB nous fait découvrir à quel point la culture et le rapport à la langue y sont différents, souligne Ed Wige. Le standard du français est très normatif, il est plus difficile de le tordre, alors que l’allemand permet une grande liberté. Ed Wige ? « J’ai utilisé ce pseudo dès mon arrivée à l’Institut : j’avais besoin d’une page blanche, d’un cocon qui me permettrait un autre type d’écriture. Je voulais aussi flouter le genre, cela me tenait à cœur. » Pour, encore une fois, se mettre au service du texte seul, qu’il prime sur la personnalité de l’auteur·trice.